François Berger

écrivain, éditeur, essayiste et conférencier

Le nationaliste, l’étranger et le bon Samaritain

Lors d’une récente présentation, à l’Alliance française de Berne, de son dictionnaire amoureux de la Suisse, l’écrivain, chroniqueur et philanthrope Metin Arditi, rappelait ces sages paroles dues à Hugues de St-Victor :

« Si un homme, dans son pays, se sent à l’aise, cet homme est un naïf. Si un homme, dans son pays, et partout ailleurs, se sent à l’aise, cet homme est fort. Mais si un homme, dans son pays et partout ailleurs, se sent étranger, cet homme est parfait ».

J’avoue que j’ignorais tout de ce religieux qui vécut dans la haute lumière de ce douzième siècle qui illumina l’Europe médiévale.

Comment nous sentons-nous dans notre pays et ailleurs ?

A l’image d’autres pays, proches ou lointains, nous connaissons aussi notre lot de nationalistes qui se sentent si à l’aise, en Suisse, qu’ils veulent le pays pour eux tout seuls ! Ils sont hostiles à la Communauté européenne, à tout ce qui est d’ordre supranational. C’est oublier que notre pays, à l’image des autres, s’est fait progressivement par un transfert des pouvoirs politiques locaux au pouvoir central, patiemment, Comme toute personne humaine l’Europe communautaire connaît elle aussi ses maladies de jeunesse.

Le grand écrivain Ramuz, écrit, dans Besoin de grandeur :

« Je suis patriote parce que j’aime mon pays au sens géographique du mot, j’aime une certaine terre, un certain climat, un certain ciel.(…) Le nationalisme comporte une politique et une sociologie ; l’espèce de patriotisme qui est le mien ne comporte ni l’une ni l’autre. Patriote est même trop fort : il faudrait pouvoir dire paysan car il y a pays dans paysan ».

Aristophane n’est pas loin du grand poète vaudois : là où l’on est bien, là est la patrie.

Les nationalistes, qui n’ont pas la sagesse des patriotes au sens défini par Ramuz, se méfient, quand ils n’y sont pas franchement hostiles, de l’étranger.

Etranger ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous sommes tous des étrangers ou que nous soyons ! Si j’appartiens à une terre où je suis né, à une région où j’ai grandi, à un pays dont je suis le citoyen, je ne cesse, au cours de ma vie, d’être, pour l’autre, l’étranger. Je ne dois pas oublier le caractère vertueux de cette relation qui m’oblige. Mais je  ne puis m’empêcher, parfois, de flairer de l’orgueil dans certains mouvements humanitaires qui aiment à donner des leçons. Si leurs actes, apparaissent, en soi, méritoires, est-ce suffisant pour légitimer toutes leurs prises de positions ?

Qu’on se remémore la puissante parabole du bon Samaritain selon l’Evangile ( Luc 10 : 25-37). Une question est posée à Jésus : Qui est mon prochain ? Et Jésus de raconter l’histoire de cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho et qui tomba entre les mains de brigands qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s’en allèrent en le laissant à moitié mort. Un prêtre, puis un Lévite le virent mais ne s’arrêtèrent point. Cependant un Samaritain qui voyageait arriva près de lui. L’évangéliste précise qu’il fut rempli de compassion lorsqu’il le vit. Il le soigna et le conduisit dans une auberge. Le lendemain il sortit deux pièces d’argent, les remit à l’aubergiste : « Prends soin de lui et ce que tu dépenseras en plus, je te le rendrai à mon retour ».

C’est ici que la question de l’homme de Nazareth surprend : « Qui est le prochain pour l’homme tombé entre les mains des brigands ? ». C’est à nous que la question est posée !

Si le prochain nous apparaît être l’homme tombé aux mains des brigands, Jésus, habilement, inverse la question et lui donne tout son sens.

Aussi, dans nos actes et interventions humanitaires ou tout simplement humaines, sommes- nous toujours certains d’être le prochain de l’autre ?

Soyons capables de nous sentir étrangers, dans notre pays, et partout ailleurs, comme le disait le bon moine Saxon, et, à défaut d’être parfaits, nous saurons être des disciplines du bon Samaritain.

François Berger
avocat, écrivain, membre de la société européenne de culture
Dernière publication : Les pavillons de Salomon, roman, L’Age d’Homme
A paraître en été 2017 : Ritorno, roman, traduction en langue italiennne de Giovanna Golisciano, Eva Edizioni, Italie