Dès après l’élection de Jorge Mario Bergoglio, le cardinal Hummes, de Sao Paulo, a murmuré à son oreille : « N’oublie pas les pauvres ».
Est alors venu à l’esprit du nouveau pontife le nom du saint d’Assise dont il était déjà un disciple. A Buenos-Aires il préféra un simple appartement au palais épiscopal et les transports publics. Il célébrait la messe avec les plus démunis. On ne sait s’il vivra parmi les ors du Vatican ou à l’extérieur.
Le premier pape jésuite a un cœur franciscain.
Quand on écrira l’histoire de l’Eglise au XXème siècle, on se souviendra sans doute d’Assise, en 1986, où des représentants de toutes les religions du monde se réunirent avec le pape Jean-Paul II.
Benoît XVI a, lui aussi, reconnu, en saint François, un lumineux exemple de rencontre avec les autres religions, et plus particulièrement l’islam.
Le choix de s’appeler simplement François est le signe visible de sa volonté de marcher dans les pas du Poverello. François 1er eût été une référence moins sensible, s’inscrivant alors davantage dans une tradition pontificale. Les membres du Sacré Collège lui auraient conseillé de prendre le nom d’Adrien ou de Clément. Songèrent-ils à Clément XIII qui soutint les jésuites ou à Adrien VI qui se fit remarquer par ses vertus ?
Les origines du successeur de Pierre sont modestes alors que saint François était le fils d’un riche marchand. Bon nombre de saints et de saintes furent issus de riches et nobles familles. L’Esprit souffle où Il veut et quand Il veut !
Pasteur d’une Eglise déchirée, François devra se confronter à un monde perturbé, multiculturel, aux convictions éreintées, dominé par le relativisme – si justement dénoncé par son prédécesseur Benoît – né de la subjectivité triomphante. Relativisme qui ne semble point déplaire à certains théologiens plus portés à la sociologie et à l’air du temps qu’à la religion et dont on peut se demander s’ils ont encore une vraie foi.
Si les débats (questions sur le mariage et le divorce, communion, sacerdoce des femmes, euthanasie active, etc.) avec les Eglises chrétiennes non rattachées à Rome ainsi d’ailleurs qu’avec le judaïsme, apparaissent plutôt d’ordre théologique et philosophique, le dialogue avec le monde musulman nécessite une claire prise de conscience des différences fondamentales. La population de cette grande et belle religion est aussi nombreuse que celle de toutes les Eglises chrétiennes réunies.
Les divergences doctrinales et dogmatiques (péché originel, Trinité et filiation divine, selon la tradition chrétienne) demeurent importantes entre chrétiens et musulmans, mais ont heureusement disparu ces temps où le Salut était, croyait-on, fermé aux mahométans … et à bien d’autres !
« Le dessein de Salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour » (Vatican II ; Lumen Gentium, chapitre II, Le peuple de Dieu, ch. 16).
Le nouveau pape n’a-t-il pas aussi choisi le nom de François pour annoncer qu’il sera un partisan actif du dialogue avec l’islam ?
L’islam aime Jésus. Un musulman qui rejetterait le fils de Marie ne serait pas un authentique musulman.
Sans doute connaît-il le périlleux voyage du saint rencontrant, à Damiette, en 1219, le sultan d’Egypte Malik al-Kamil (le Parfait) avec frère Illuminé. Il y avait dans sa démarche courageuse une authentique volonté de réconciliation et de paix. Les musulmans étaient alors diabolisés, comme beaucoup le sont aujourd’hui en Occident parce que l’Occident ne les connaît pas, ou pas vraiment. Cette heureuse rencontre est rapportée par saint Bonaventure qui écrivit sur la vie du saint d’Assise.
Al-Kamil était un chef de guerre, un homme politique et un fin diplomate.
« Pourquoi les chrétiens qui croient en un Dieu d’Amour s’acharnent-ils à nous faire la guerre ? Ils veulent et Jérusalem et l’Egypte. Qu’ils lèvent le siège devant Damiette et nous croirons à leur volonté de paix », dit-il à François, lequel, attristé, lui répondit humblement : « L’amour n’est pas aimé, l’amour en ce monde est toujours crucifié ».
Le sultan, très religieux, admira la foi de ce soufi chrétien (Le soufisme est la voie mystique de l’islam). François, quant à lui, fut impressionné par le respect que les musulmans portaient à Allah et par leur fidélité à leur prière cinq fois par jour, fidélité qui demeure.
« Il semble, souligne le doux Albert Jacquard (Le souci des pauvres, Flammarion, 1996) que le sultan n’oublia pas le sourire de François, sa douceur dans l’expression d’une foi sans limite. Peut-être ce souvenir fut-il décisif lorsqu’il décida, dix années plus tard, alors qu’aucune force ne l’y contraignait, de rendre Jérusalem aux chrétiens. Ce que les armées venues d’Europe n’avaient pas pu obtenir, l’intelligence et la tolérance de Malik al-Kamil permettraient à l’islam de l’offrir. Sans doute le regard clair de François avait-il poursuivi son lent travail dans la conscience de cet homme ouvert à la pensée des autres ».
Les pontifes romains mettront sept siècles à reconnaître ce geste prophétique !
La miséricorde fut au centre du premier angélus du pape : « Le visage de Dieu est celui d’un père miséricordieux ».
Faut-il y voir un signe bienveillant à l’égard du monde islamique ? Le Coran commence chacune des 114 sourates par : « Au nom de Dieu le miséricordieux plein de miséricorde ».
Peu avant Pâques, François a lavé les pieds à douze jeunes détenus dans une prison romaine plutôt que dans l’immense et froide basilique Saint-Jean de Latran.
Parmi les douze devant lesquels il était à genoux pour le rituel du lavement se trouvait une jeune musulmane …
L’ordre franciscain a toujours tenté des rapprochements et cherchent des moyens pour faire face aux grands drames : la pauvreté, la solitude et la violence.
François saura les soutenir et les encourager dans cette mission qui est visiblement aussi la sienne et que nous pouvons partager avec lui, à notre mesure, si nous le voulons.